Revue Spécialiséé Trimestrielle

Les Racines Du Sawt Et Le Chant Populaire Chez Les Béni Yazid De La Hamma

Issue 20
Les Racines Du Sawt Et Le Chant Populaire Chez Les Béni Yazid De La Hamma

Le sawt (littéralement : la voix) désignait dans notre patrimoine arabe des poèmes chantés qui se composaient habituellement de deux vers.  On a pu dire que Kîtab al aghani (Le Livre des chants) est « une encyclopédie de l’histoire, de la littérature, de la critique, de la musique, des akhbars (relations d’événements réels) et des biographies. Son auteur l’aurait consacré aux cent sawts sélectionnés pour le calife Haroun al Rachid ; chaque sawt y était évalué et  l’itinéraire du poète, du compositeur et du chanteur était reconstitué ». Il se confirme, sur la base de ces données, que les deux vers constitutifs du chant, à l’époque abbasside et même avant, représentaient ce qui était communément appelé le sawt. 

Comme le Sahara est un espace immense connotant l’envol, les horizons sans fin, la vastitude et les longs parcours, que les déplacements de la tribu de Béni Yazid relevant des pérégrinations des hattayas (les populations nomades) s’inscrivaient dans un tel contexte, et que certains périples de ces hommes qui parcouraient le désert étaient consacrés au sa’ie (transhumance), au saqie (recherche de l’eau) ou au talab ar-rizq (recherche des moyens de subsistance), ces tribus « éprouvaient le besoin d’exprimer artistiquement cette réalité qui était la leur ainsi que les sentiments qu’ils en éprouvaient, ce qui a donné naissance à l’art du sawt, lequel consiste en une structure mélodique liée à l’environnement et au contexte culturel autant qu’aux exigences du quotidien. « Le sawt s’est de façon générale rattaché au désert, car le désert c’est le vide (…) Qu’ils soient en route ou qu’ils fassent halte pour le saqie (abreuver les bêtes), les hommes chantent pour se sentir moins seuls» N’y a-t-il pas là un rapport entre le sawt et les significations linguistiques induites par l’idée d’appel, de cri ou par les autres manifestations verbales habituellement liées au Sahara arabe? Ce type de chant n’a-t-il pas des racines qui s’étendent jusqu’au plus profond de l’histoire arabe ?

Tel est en tout cas le contexte matériel qui a donné au sawt ses spécificités artistiques et musicales et qui en a fait un chant fluide, non assujetti à un rythme précis.  Le sawt s’est développé et répandu, il est devenu inséparable de toutes les grandes manifestations sociales, à El Hamma (sud de la Tunisie), qu’il s’agisse de mariages, de funérailles, de cérémonies de circoncision, de fêtes prénuptiales (fêtes du henné) ou autres. Mais le corps social n’a pas manqué de lui opposer des entraves ; il était notamment connu que les Béni Yazid – qui faisaient partie des tribus arabes les plus vaillantes – estimaient qu’un brave se déconsidérait dès lors qu’il entonnait un chant.  L’historien tunisien Hassan Hosni Abdelwahab écrit à ce sujet : « Il est notoire que nos auteurs nomades ainsi que leurs aèdes les plus réputés répugnaient, à chaque fois qu’ils composaient un poème, à être traités de récitants et évitaient de chanter leurs propres œuvres. Ils faisaient apprendre leurs textes à ceux de leurs esclaves qui avaient une belle voix pour qu’ils les exécutent lors des mariages et autres cérémonies publiques. »

Une autres des caractéristiques du sawt est que les mots étaient prononcés de façon peu distincte parce que le récitant, surtout lorsqu’il s’agissait d’un vaillant guerrier, ne voulait pas être reconnu.  Le sawt n’est pas nécessairement exécuté par un seul individu, le chanteur peut se faire accompagner de la garna (la paire), de la sa’fa ou sinnida (groupe de soutien), de la chaddada (le groupe en appui) ou de la zerri’a (le groupe qui « implante »). Un tel accompagnement obéissait à des règles précises. Car « ces voix, même si elles appartenaient à de simples bergers du Sahara non astreints aux règles de l’harmonie musicale, des hommes qui n’avaient guère fréquenté les lycées ou les universités et, souvent, ne savaient ni lire ni écrire, se fondaient sur un principe de convergence », principe qui n’excluait pas l’improvisation laquelle obéissait à l’inspiration du moment.  « Le sawt ne peut être chanté deux fois de la même façon. »

Samir Idriss

Tunisie

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