Revue Spécialiséé Trimestrielle

LES ŒUVRES ORALES DU CHEIKH ALI BEN AOUN

Issue 19
LES ŒUVRES ORALES DU CHEIKH ALI  BEN AOUN

Férid Esseghiri (Tunisie)

Le patrimoine oral des peuples et des communautés humaines a été un facteur essentiel dans la conservation de leur héritage matériel et de leurs spécificités culturelles.

 

On le voit de façon encore plus claire à travers l’analyse des appartenances claniques ou familiales complexes et interactives qui sous-tendent la mémoire populaire mais aussi l’examen des composantes et des continuités linguistiques qui tantôt séparent, tantôt réunissent les membres du groupe mais demeurent, en dernière instance, la base de la pérennité de ce groupe, la source de sa formation et l’élément révélateur de ses secrets.

Tel est le cadre dans lequel se situe cette recherche fondée sur la collecte et l’établissement d’un ensemble d’œuvres et de matières relevant de cet héritage qui constitue une part importante du patrimoine populaire oral de la région du centre ouest de la Tunisie – un patrimoine qui demeure encore aujourd’hui vivace du fait que la mémoire des hommes a conservé ces œuvres non écrites et, à travers elles, des formes d’expression et de créativité qui constituent autant de jalons lumineux où bien des spécialistes voient d’indéniables contributions à l’édifice culturel arabe commun.

L’étude des poésies et propos attribués au Cheikh Sidi Ali ben Aoun a pour point de départ l’exploration de la mémoire populaire de ses descendants qui sont les gardiens des actes et des œuvres orales du Cheikh. Sont ensuite enregistrés les récits récurrents que la mémoire du groupe a conservés, en tant qu’ils constituent des documents relevant de ce que l’on pourrait appeler l’historiographie populaire du Cheikh telle que la région tout entière a pu nous la restituer. 

Nous avons veillé à ce que notre analyse obéisse à trois règles essentielles :

La première consiste dans le collationnement du contenu des propos rapportés. Nous avons ainsi procédé à la collecte et à la classification de la matière poétique et narrative qui nous est parvenue concernant cette éminente personnalité historique. 

Nous avons, en deuxième lieu, élaboré une description précise du cadre objectif dans lequel le Cheikh a produit ces œuvres en prenant en compte le niveau d’objectivité des narrateurs que nous avons sollicités ainsi que leur capacité à rapporter les faits et gestes et les productions poétiques qu’ils ont inspirées. 

La troisième règle a consisté à interroger ces productions pour en dégager les significations et en expliciter les énigmes et symboles qui permettaient au(x) locuteurs(s) de transmettre aux auditeurs leur philosophie, leur point de vue, leur vision du monde en ce qui concerne les réalités sociales, politiques et morales de leur époque. 

 

Pour bien cerner les différents aspects de la question nous avons adopté la technique de l’entretien non orienté. Nous avons entendu un ensemble de conteurs rapporter diverses productions poétiques libres inspirées en général par les problèmes et préoccupations des gens et structurées autour de récits et de thèmes poétiques divers transmis, de génération en génération, à travers des formes linguistiques ouvertes aux impressions et aux ajouts de ces conteurs. 

En ce qui concerne leur organisation artistique et leurs significations symboliques, les œuvres ainsi réunies et analysées sont moins liées à un référentiel socioculturel stable qu’à une mémoire collective vivante et en constante évolution, du fait de l’émulation créée par le jeu de tous ces imaginaires qui tentent de faire revivre les faits et gestes les plus étranges et les plus évocateurs de tel ou tel cheikh. Ces œuvres surprennent, néanmoins, en plus d’une occurrence, par la singularité, voire l’hermétisme, de leur propos, surtout si l’on pense à la large diffusion de certaines images poétiques attribuées à ces cheikhs et rapportées à travers des modalités stylistiques étroitement liées à l’environnement socioculturel où elles ont vu le jour et auquel elles sont restituées.

Toute Issues