Revue Spécialiséé Trimestrielle

LES PROVERBES POPULAIRES LIES A CERTAINS METIERS TRADITIONNELS

Issue 18
LES PROVERBES POPULAIRES LIES A CERTAINS METIERS TRADITIONNELS

Ibrahim Abdel Hafez (Égypte)

L es proverbes populaires sont l’une des formes de la littérature populaire qui exprime avec le plus de force les us et coutumes ainsi que les croyances des gens, tant ils sont enracinés dans la majeure partie de leur existence.


Plus encore, les proverbes nous présentent fort souvent des modèles de conduite pour les différentes situations de la vie quotidienne, contribuant ainsi à tracer les orientations et à définir les valeurs auxquelles les membres de la société sont appelés à adhérer. Et, comme les métiers traditionnels constituent un aspect important de la vie sociale et que les artisans représentent, à travers leurs diverses spécialités, une partie de la culture populaire, un nombre non négligeable de proverbes ont trouvé dans ce domaine particulier une source d’inspiration.
Cette brève étude vise à mettre en lumière un certain nombre de proverbes populaires liés à différents métiers traditionnels, notamment la coiffure, la menuiserie, la cuisine et la couture. Ce choix se fonde sur la fréquence des proverbes inspirés par ces professions. Il suffit en effet de consulter un dictionnaire des proverbes, anciens ou modernes, pour constater que des métiers aussi populaires dans nos pays que le travail du cuivre, l’orfèvrerie ou la fabrication des tentes n’interviennent que pour une faible part dans les proverbes recensés. Pourtant ces métiers sont indissociables du paysage de nos grandes villes, en particulier celui du Caire. Or, même s’il arrive que l’on rencontre un proverbe lié à un de ces métiers, le plus souvent c’est en fait sur un trait particulier de la profession ou du travail de l’artisan qu’il porte. C’est pour cette raison que l’auteur s’est efforcé de collecter sur le terrain – plus précisément dans le quartier cairote d’Al Hussein – ce type de proverbes. N’ayant disposé que d’un temps limité pour effectuer ce travail préalable à l’élaboration de la présente étude, l’auteur n’a malheureusement réussi à recueillir qu’un nombre restreint de proverbes. Mais la rareté des occurrences pourrait également s’expliquer pour l’essentiel par le fait que la culture populaire des Egyptiens est fondamentalement rurale. C’est la culture d’un peuple établi depuis des millénaires sur les bords du Nil et dans la région du Delta, ce qui fait que, même si ce peuple a excellé dans les différents secteurs des métiers traditionnels, ceux-ci sont restés en retrait dans les traditions orales qui sont les siennes.
Par ailleurs, à ces rares occurrences d’autres proverbes sont venus s’associer qui incitent l’artisan à la persévérance, à la célérité ou à la rigueur, toutes indispensables s’il veut bien vivre de son travail. Mais j’ai préféré laisser de côté ces proverbes, qui sont innombrables, et n’en citer que quelques exemples.
Il faut, ici, prendre en considération le fait que le proverbe ne s’impose qu’après un certain nombre d’étapes qui permettent de le stabiliser, tant dans sa forme que dans sa signification, de sorte qu’il puisse toucher de larges parties de la population. Ces étapes, qui sont reconnues par de nombreux spécialistes de la question, partent de l’idée que le proverbe commence par être une proposition individuelle, formulée à tel ou tel endroit, à tel ou tel moment de l’Histoire. Lorsque cette proposition touche la sensibilité des récepteurs elle se transforme en une sorte d’expression ailée qui va se mettre à voltiger, recevant, ici, une modification, là, un affinement jusqu’à ce qu’elle acquière sa forme normative, et devienne un proverbe populaire.
Il ne faut donc pas considérer les proverbes comme des productions collectives : chaque proverbe a été conçu à un moment précis, dans un contexte historique donné, par l’esprit d’un individu, demeuré inconnu ; il s’est ensuite transformé comme se transforment toutes les sentences et les autres expressions de la sagesse populaire ; il a enfin connu une large diffusion parmi le reste des membres de la communauté.
La mission dont le proverbe est investi est bien trop haute pour que des explications ou des analyses viennent en limiter l’extension car elle se rapporte à l’humain dans ses manifestations les plus simples comme les plus complexes. Le proverbe est en effet étroitement lié à la vie des hommes et à leurs comportements à l’intérieur de la sphère sociale. Il se rapporte aux problèmes et aux contradictions de l’homme, tels que les actualisent, en bien comme en mal, les actions de chacun. Le proverbe signale, enregistre, critique, dévoile la réalité des faits humains dans la vie quotidienne.
La forme et la finalité du proverbe, lequel se caractérise par son style léger et son impact sur la sensibilité des hommes, confèrent à ce type d’expression une sorte de fonction sociale. Le proverbe entre par la grande porte dans la vie des gens ; il peut accompagner une personne dans les différentes étapes de son existence ; il s’introduit dans les détails les plus ténus de l’existence des êtres. Le proverbe a également une fonction littéraire ou stylistique ; il nous offre une vision artistique qui s’adresse à nos affects et réjouit l’esprit par l’exactitude de telle comparaison, le comique surgissant de tel paradoxe ou les multiples significations de telle formule inattendue. Le proverbe joue ainsi le même rôle que certains arts qui saisissent des images inédites de la vie, dans le seul but de nous procurer un plaisir esthétique.
On peut longuement disserter sur les fonctions sociales des proverbes, mais l’auteur préfère souligner, ici, le rôle qu’ils jouent en tant qu’ils ratifient et formalisent les coutumes populaires en fonction des besoins éthiques et sociaux. Il considère, en d’autres termes, le proverbe comme un législateur social car celui-ci organise, d’une part, les relations des gens, les uns avec les autres, d’autre part, leur relation avec l’autorité publique et le pouvoir, enfin, leur rapport à Dieu.
Dans certains cas, le proverbe contient l’ensemble des principes moraux, tels que la probité, la vertu, la sincérité, la générosité, les devoirs de bon voisinage, etc. et en souligne les hautes significations auxquelles tout homme doit aspirer pour réaliser, pleinement et en toute circonstance, son humanité.

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