LA WA’DA POPULAIRE EN ALGERIE ENTRE CROYANCE ET PRATIQUE
Issue 17
Abdelkader Fetais (Algerie)
Parler de la wa’da c’est parler d’un rite qui nous réfère, au sens strictement linguistique, à une tariqa (confrérie) religieuse, c’est-à-dire à un ordre, une organisation, une pratique cultuelle.
Pour ce qui est du sens usuel du mot, il ne saurait être limité à une définition canonique qui ferait l’unanimité parmi les chercheurs. Psychologues, spécialistes du folklore, anthropologues ou sociologues ont, du reste, déployé de grands efforts pour percer les secrets de cette pratique sociale et de tout ce qui en relève. La wa’da est en fait une forme de rite, c’est un comportement humain et une pratique qui se perpétue dans l’espace et le temps, obéissant à un ordre et à des règles précises qui, même si elles ne sont pas écrites, restent profondément enracinées dans la mémoire collective, en tant que manifestations de la culture populaire.
Le substantif al wa’da vient du verbe wa’ada (promettre, prendre un engagement, assumer volontairement une responsabilité face à l’avenir). Dans l’acception populaire du terme, al wa’da est une cérémonie religieuse organisée par les enfants, les petits-enfants, les descendants ou les fidèles d’un saint (wali) ainsi que par des membres de sa confrérie, dans le but de jouir de sa bénédiction. C’est « une festivité religieuse célébrée par des personnes faisant partie de la descendance du saint ou de ses prosélytes qui prennent à leur charge les tâches de l’organisation en vue de la ziyara (visite rituelle) ». Les personnes en charge du mausolée lancent les appels à cette ziyara, et les gens affluent de toutes les régions d’Algérie ; la cérémonie est alors organisée à proximité du mausolée du wali. Moutons, bovins, chameaux sont offerts en sacrifice. Les organisateurs préparent le couscous rituel auquel la population est conviée. Les nécessiteux sont, en particulier, traités avec la plus grande générosité. La wa’da est donc une cérémonie qui permet de concrétiser l’esprit d’entraide, de fraternité, de cohésion sociale, d’unité du groupe, sous la bénédiction du saint dont la mémoire et les belles actions sont célébrées à travers un rituel religieux censé augurer d’un avenir radieux pour la communauté des fidèles.
La croyance populaire, en Algérie, veut en effet que l’âme du saint continue, après sa mort, à se déplacer de lieu en lieu, en particulier dans les environs de son mausolée. Pour que son vœu soit exaucé, le zaiyr (visiteur) doit implorer le secours du saint en prononçant son nom, afin que celui-ci réponde à ses appels. Ces implorations sont souvent le fait de personnes victimes de coups du sort, de malheurs ou de calamités qui demandent au saint d’intercéder en leur faveur.
Ces croyances sont restées, des années durant, vivaces dans l’esprit et le cœur des gens. Elles ont été transmises, de génération en génération, sous la forme d’idées et de comportements rituels liés au statut des saints et des bienheureux ainsi qu’aux nobles actions qui ont marqué leur existence et survécu à leur mort. Ce patrimoine populaire a marqué de son sceau le comportement et les actes des gens et constitue le dénominateur commun qui les unit. L’adhésion à ces croyances fait d’eux les meilleurs défenseurs de ce culte dans lequel ils voient une matérialisation de leur passé, de la gloire de leurs ancêtres mais aussi de cette exemplarité de leur action qui lui confère une sacralité, devenue une sorte de cadre religieux à l’intérieur duquel ils se meuvent. Et c’est cette sacralité qui a fait de la préservation de ces rites et de la célébration de ces traditions un devoir d’une grande importance, tout au long de la période de la lutte contre le colonialisme français.
Si la wa’da recouvre des fonctions multiples, d’ordre religieux, social et culturel, elle consiste d’abord en un certain comportement lié au patrimoine populaire et une coutume fort connue et pratiquée au sein de la société algérienne. Elle est répandue aussi bien à la campagne que dans les villes et les villages. Les gens en célèbrent les rites à des dates régulières. Sa pérennité est étroitement liée aux croyances religieuses et aux réalités sociales et culturelles de la société algérienne.
On peut dire, pour conclure, que la wa’da est une des sources essentielles de la culture religieuse en Algérie.