Revue Spécialiséé Trimestrielle

LA TRANSCRIPTION DE LA LITTERATURE POPULAIRE

Issue 17
LA TRANSCRIPTION DE LA LITTERATURE POPULAIRE

Naceur Baklouti (Tunisie)

L’étude porte sur la littérature populaire qui est partie du patrimoine traditionnel. Cette littérature témoigne indubitablement de la fonction créatrice de la parole, et constitue de ce fait un message autoréflexif en même temps qu’autonome.

Il convient, ici et indépendamment de la dimension  cognitive des textes, de mettre l’accent dans toute approche de la question sur les formes et les modalités artistiques d’un tel message, en se fondant sur les méthodes structurales qui ont facilité l’accès au sens profond que recèlent ces textes en leurs replis.

Dans toutes les cultures du monde, la littérature populaire est considérée comme une forme de créativité artistique dont les moyens d’expression consistent en un parler populaire issu de la langue écrite que l’on appelle dans des pays tels que ceux du Grand Maghreb la fos’ha (l’arabe littéral), c’est-à-dire, au sens strict du terme, la langue de l’éloquence. Ce qui ne signifie nullement que le parler populaire contrevient au principe d’éloquence – au contraire, ce parler peut être bien plus expressif que la fos’ha, dès lors qu’il prend en charge la culture du groupe en ce qu’elle a de plus intime et de plus profond.

Il reste que, par-delà les différentes approches et quelles qu’en soient les présupposés, la littérature populaire est un produit de la parole où s’inscrivent l’expérience collective et les multiples représentations que les membres du groupe ont reçues en partage. Elle n’est pas nécessairement l’expression de la sensibilité ou du tempérament de l’être singulier qui en récite les mots pas plus que ces mots ne rendent compte de l’expérience personnelle de ce locuteur car, même si cette expérience peut nourrir son texte, elle n’en reste pas moins celle d’un individu qui se confond avec le reste de la communauté.

En fait, c’est sur cette base que cette littérature a été qualifiée de populaire, le mot « populaire » renvoyant à un concept purement culturel qui signifie l’appartenance à un groupe dont les membres sont liés par des attaches multiples et qui, partant, se réfère aux comportements, pratiques et productions communs à l’ensemble du groupe. Ce concept repose sur l’idée de rayonnement et de diffusion entre les membres du groupe, en tant que celui-ci désigne la cohabitation d’un ensemble d’individus dans un espace précis.

Le concept d’immatérialité en matière de patrimoine est apparu lorsque de nombreux spécialistes et savants travaillant sur le terrain ont acquis la conviction que la mondialisation menace d’effacer les caractères spécifiques des différentes cultures, voire de les dissoudre dans la masse, et en particulier de faire disparaître leur patrimoine immatériel, en raison de sa vulnérabilité. C’est ce qui a amené l’UNESCO à publier, en 2003, un document dans lequel elle explique le concept et propose l’adoption d’une convention sur la préservation du patrimoine culturel immatériel des peuples, en y précisant le contenu de ce patrimoine et son rôle dans la sauvegarde des identités et de la diversité culturelle.

La littérature populaire est donc un patrimoine immatériel particulièrement fragile. Il est menacé de disparition du fait du recul de sa transmission orale à l’intérieur des contextes culturels qui furent toujours les siens, de l’absence de tout effort de reproduction et du nombre toujours plus réduit des aèdes et des récitants, en dépit du grand développement des moyens de communication. Il est donc plus que jamais nécessaire de collecter et de transcrire ce patrimoine afin de le sauvegarder et d’en assurer la transmission puis la publication, ne serait-ce que sous une forme écrite.

Mais la transcription pose de nombreux problèmes. La problématique de la transcription et de l’archivage de la littérature populaire relève en effet de la communication et de l’expression. Elle concerne, comme nous l’avons souligné, le passage d’un mode d’expression et de communication à un autre mode, complètement différent. Ce qui signifie le passage de l’oralité à l’écrit, au plan de la diffusion, de l’écoute et de la vision à la lecture, au plan de la réception. On ne saurait, à la vérité, réduire un texte littéraire oral – surtout un texte narratif – à sa matière verbale actualisée par la parole ou à sa seule dimension lexicale : n’y a-t-il pas, dès lors, contradiction dans les termes à parler de transcription de la littérature populaire?

Toute Issues