LA PLACE DU PATRIMOINE AU THEATRE : UNE INTRODUCTION POUR SIPER LES ILLUSIONS

Ibrahim Abdallah Ghulom (Bahreïn)

La mémoire cumulative est l’addition symbolique des mémoires individuelles. Elle est le fondement de l’identité et du devenir de chaque société. Peut-on, d’un autre côté, considérer cette mémoire comme une compensation au déficit dont pâtit toute collectivité humaine ? Jabeur Osfour écrit : « La mémoire culturelle ne restitue le plus souvent que ce qui fait écho à ses préoccupations, à ses inquiétudes et à ses aspirations présentes;

L’étude a pour objet la présence du patrimoine dans l’action théâtrale, que ce soit au niveau du texte ou de la scène. L’auteur part du constat que cette présence est le plus souvent considérée comme relevant d’une technique à caractère ponctuel ou d’une démarche esthétique à laquelle le dramaturge ou le metteur en scène recourent, en cas de besoin. Beaucoup partent en effet de cette  idée, toute illusoire, que le patrimoine, en tant qu’il figure sous la forme de péripéties, de personnages, de comportements individuels ou collectifs, constitue une série de masques que l’écrivain utilise pour contourner la censure de la liberté d’expression, toujours présente au plus profond du corps social. C’est ainsi que les critiques voient l’engouement de beaucoup d’écrivains pour les sujets tirés du patrimoine, de l’Histoire, des mythes et légendes le symptôme d’une crise des libertés dans les sociétés arabes, liée au contrôle exercé par les autorités, la religion et les traditions.
L’auteur estime qu’une telle approche témoigne d’une méconnaissance de l’essence du théâtre autant que du patrimoine, méconnaissance relevant d’une perception qui fait du théâtre un répertoire de thèmes qui se heurtent aux interdits sociaux. Une telle approche a sans doute contribué à mettre le théâtre en conflit avec la société, les autorités, les lois et les traditions. Le théâtre a ainsi été assimilé à la sphère politique et idéologique. Il est devenu, d’un côté, une des cibles de la politique culturelle officielle et, de l’autre, un instrument entre les mains des opportunistes politiques de tous bords, ce qui n’a pas peu contribué à assécher pour une part la créativité au profit d’un discours idéologique s’appuyant sur le patrimoine et se cachant derrière différents masques, tels que les personnages, les péripéties et les symboles, lesquels étaient associés de façon compulsive à ce patrimoine.
Pendant plus de trois décennies et jusqu’à nos jours, la réflexion sur le théâtre a été liée au mot d’ordre du retour au patrimoine pour faire renaître un théâtre arabe authentique ou un type de drame ayant une identité arabe ou encore un théâtre fondé sur une dramaturgie arabe typique. La problématique de la scène arabe s’est ainsi concentrée sur un retour au patrimoine dénué de tout arrière-plan conceptuel. Beaucoup ont vu dans ce mouvement une nouvelle forme de théâtre expérimental, d’autant plus que le processus s’inscrivait dans le cadre d’un vaste débat sur la tradition et la modernité dans la culture arabe et leur impact sur l’art, la pensée, la politique, la société et le développement.
Le patrimoine au théâtre ne doit être perçu que comme un processus constitutif de ce tissu d’épure, de profondeur et de complexité qu’est le texte  dramatique – constitutif aussi de l’espace dont ce texte fait récit. Que le patrimoine figure en tant que tel, ou par le jeu de l’intertextualité ou de l’imaginaire, il est exposé à la contradiction ou à l’opposition face à des formations textuelles parallèles qui sont en nombre illimité.
Le patrimoine est en effet un facteur interne de cohérence organisé autour d’images et d’idées et non pas une charge externe faite de lectures et de projections herméneutiques, ainsi que l’ont présupposé tant de textes dramatiques « idéologiques ». Le patrimoine ne doit donc être perçu dans ce cadre qu’en tant que processus mental qui se déroule à l’intérieur du texte et dont la structure est inséparable d’autres processus mentaux en nombre illimité.