Les Chansons Populaires Dans Les Mariages Arabes
Issue 12
Adil Batoussi (Égypte)
L ’un des meilleurs témoignages de la richesse et de la féconde diversité du patrimoine arabe est le lien étroit qui a toujours existé entre les cérémonies de mariage, dans les différents pays arabes, et les chansons populaires que les générations se sont transmises par l’écrit et/ou la tradition orale.
Ces chansons se sont, elles-mêmes, diversifiées, s’adaptant aux multiples dialectes qui varient non seulement entre les différentes régions du monde arabe, mais souvent à l’intérieur d’un seul et même pays. De même se sont-elles liées aux traditions prénuptiales et à tous ces rites où s’expriment dans toute leur magnificence les richesses du patrimoine et les valeurs authentiques léguées par les ancêtres et se renforcent les rapports d’affection et de solidarité entre tous les membres de la société.
Le patrimoine arabe recèle un immense héritage de chansons populaires que l’on retrouve dans les fêtes et les autres occasions heureuses. De même que les chants des moissons, de la pluie ou de la guerre, les ancêtres nous ont légué ces chansons qui égayent les cérémonies de mariage et qui sont un miroir de notre réalité historique et géographique autant que de cette continuité, tant dans l’organisation des cérémonies que dans la structure des chansons, qui fait le lien entre les pays arabes, par-delà les différences – fort légères, au demeurant – qui existent entre les dialectes et les parlers. Ces chansons varient d’une étape à l’autre du processus, depuis la demande officielle en mariage jusqu’au lendemain de la nuit de noce, en passant par la soirée du henné et la nuit de noce elle-même. Les dénominations peuvent également varier d’un pays à l’autre, quand bien même le rituel resterait identique en sa signification.
Si les traditions arabes authentiques, qui sont la mémoire vivante de l’héritage et des nobles valeurs transmis par les aïeuls, ont été et demeurent le meilleur des remparts pour ceux qui y sont restés attachés, les préparatifs qui sont couronnés par la nuit de noce consistent, dans nos différentes sociétés, en une suite de «moments» qui varient sur quelques points de détail infimes, d’un pays à l’autre. Si l’on commence par la khotba (demande en mariage) qui enclenche le processus, on constate que cette étape que l’on appelle aussi rabt al kalam (le fait de «prendre langue») se subdivise, elle-même, en différentes séquences où l’on passe des questionnements à la recherche d’informations, aux «surveillances» plus ou moins rapprochées de la part des deux familles ; après quoi l’accord se fait sur la date du mariage ainsi que sur les préparatifs et les dispositions à prendre. La «promesse» (wa’d) est concrétisée par le cadeau de fiançailles (dablat al khououba) qui, symboliquement, donne forme aux souhaits que l’on forme pour que le foyer vive dans la sérénité.
Cette promesse «matrimoniale» est accompagnée d’un grand nombre de chansons qui varient d’un pays ou d’une société arabes à l’autre. Celles que connaît la vallée du Nil ne sont pas celles qui égayent les soirées de la Mésopotamie ; celles du Golfe diffèrent profondément de celles du Maghreb. Des danses d’une variété tout aussi grande accompagnent ces chansons, telles que la dabka, le tahtîb, la I’yala, la ‘artha, le kassir, la liwa, la hajala, etc. Dans ces chansons, les couplets sont, la plupart du temps, précédés d’ «annonces» rythmiques, produites au moyen d’instruments de percussion.
Les traditions tribales, en Arabie Saoudite, dans certains pays du golfe, dans les zones rurales d’Egypte, en Libye, dans les pays du Maghreb, ainsi qu’en Mauritanie interdisent au marié de voir sa future et de lui adresser la parole, quel que soit, par ailleurs, leur degré de parenté. Il est de coutume (conformément à l’adage «la dignité sociale est la clé de toute lignée authentique») de prendre en considération, dans le choix final, la position sociale de la famille à laquelle on est appelé à se lier, le mariage étant un moyen de jeter des ponts entre les «bonnes» familles, malgré l’idée qui continue à prévaloir que le meilleur choix demeure – dans l’absolu – celui de la cousine paternelle.
Les spécialistes se sont accordés à reconnaître que les chansons du patrimoine populaire qui accompagnent les mariages présentent autant d’intérêt que les autres rites et usages festifs liés à ce type de cérémonie, surtout celles de ces chansons qui se rattachent à ce que l’on appelle la «nuit de la vie», celle de la noqla (le transfert), pendant laquelle la mariée va s’installer dans une nouvelle maison où elle commencera une vie de couple que tous espèrent réussie.
Ces chansons diffèrent, à l’intérieur d’un même pays arabe, selon qu’il s’agit d’un milieu citadin, rural ou marin. Ainsi, ce qui est chanté au nord de l’Irak ne ressemble pas tout à fait à ce qui est chanté au sud; de même, les chants festifs de la région du Tigre et de l’Euphrate ne sont pas exactement ceux de la région des Ahwars. Ces légères différences relèvent notamment du mode d’exécution: ici, un seul chanteur anime la soirée, là, c’est tout un groupe ou une chorale, dans un autre cas, on assistera à des prestations mixtes ou à des cantates à deux, trois voix ; il peut également y avoir un dialogue entre le soliste et la chorale.