Revue Spécialiséé Trimestrielle

La Marjhana Dans Le Vieil Héritage Populaire

Issue 11
La Marjhana Dans Le Vieil Héritage Populaire

C’est dans ce creux que s’assoit une des fillettes, en saisissant les deux extrémités de la corde, tandis que ses compagnes se chargent de la pousser d’arrière en avant et d’avant en arrière. Deux fillettes peuvent également se tenir debout, en se faisant face, sur la merjhana : l’une d’elle pousse alors la balançoire dans le sens qui est le sien, puis c’est au tour de l’autre de la pousser en sens contraire.

Au bout d’un certain temps, les deux fillettes cèdent la place à d’autres, et le jeu se poursuit, chacune des fillettes prenant son tour, sans qu’une limite dans le temps ne soit fixée. Les petites filles chantent des chansons en rapport avec ce jeu qui se pratique surtout pendant les vacances, les jours de fête ou dans certaines circonstances qui seront évoquées plus loin.

La merjhana est en effet l’un des jeux populaires les plus anciens. Elle a été, depuis des temps fort éloignés, une des occupations préférées des petits et des grands, mais une occupation liée à des occasions bien particulières, même si le jeu en tant que tel aurait pu être pratiqué à n’importe quel moment de l’année.

Malgré les transformations qu’elle a subies, à notre époque, la merjhana a gardé tout son attrait pour les plus jeunes. Mais elle n’a pas toujours été un simple jeu, comme il y en a tant, elle fut également un des rites anciens, liés au pèlerinage (le Hajj). Lorsque le futur hadj se préparait à prendre le chemin de la Mecque une merjhana était en effet installée ; elle ne pouvait être enlevée qu’à son retour.

Et chacune des étapes du pèlerinage a trouvé, autour de cette balançoire, son expression dans la sensibilité populaire, à travers des chants et des mélodies chargées d’émotion où la joie se mêle à la tristesse, à l’attente, aux appréhensions et inquiétudes des parents et amis du pèlerin. Cette charge émotionnelle ne prend fin qu’avec le retour, sain et sauf, du hadj.

C’est précisément la peur pour l’absent, parti en terre sainte accomplir son devoir de croyant, qui amène les siens à chercher une consolation et un apaisement dans les prières et les implorations qui prennent la forme de chansons qu’ils récitent autour de la merjhana. Toute la charge émotionnelle du groupe s’extériorise pendant un certain temps à travers ce jeu.

Nous pensons qu’une telle pratique a des racines historiques et symboliques dont nous ignorons la teneur mais dont la réalité est confirmée par le fait que nous avons rencontré ces mêmes rites au sein de la société yéménite où la balançoire continue à être une pratique vivante. Les rites de la merjhana commencent avec la sortie du futur hadj de sa maison et se poursuivent jusqu’au neuvième jour du mois lunaire de Dhu al hajja – neuvième jour du pèlerinage.

La balançoire est placée à l’intérieur de la demeure du pèlerin, pour autant qu’on y trouve suffisamment de place, sinon elle est installée dans les endroits appropriés, là où l’on trouve des palmiers ou des arbres avec des branches solides. Une fois la merjahna en place, les enfants, la famille, les voisins y viennent en foule. Jour après jour, ils s’y balancent jusqu’au huitième jour de Dhu al hajja.

Au neuvième jour, ils transportent la corde de la balançoire vers la maison du hajj, afin de la « marier », en organisant une sorte de cérémonie que l’auteur appelle « noce symbolique ». Les femmes – parentes et voisines – se chargent, à ce moment-là, de préparer la farcha qui consiste à décorer la chambre du hajj, en employant exactement les mêmes ornements que l’on avait utilisés auparavant pour décorer la chambre de marié du pèlerin.

La merjhana n’était donc pas au départ un simple jeu, mais un rite qui eut son importance, en tant qu’élément du patrimoine, avant de retrouver sa fonction exclusivement ludique. Il a, dès lors, non seulement perdu sa valeur rituelle mais il a disparu en tant que tel de la mémoire des hommes, n’ayant pas été transmis de façon correcte, d’une génération à l’autre, si bien que personne, aujourd’hui, n’en connaît la fonction rituelle.

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