Revue Spécialiséé Trimestrielle

LA ‘ITA : PATRIMOINE DE LA MÉMOIRE COLLECTIVE ET CAPITAL SYMBOLIQUE L’exemple de la ‘Ita mellalienne

Issue 51
LA ‘ITA : PATRIMOINE DE LA MÉMOIRE COLLECTIVE  ET CAPITAL SYMBOLIQUE L’exemple de la ‘Ita mellalienne

Meriem Belmahdhi (Maroc)

Faculté des Lettres et des Sciences Humaines

Université Mohamed V. Diplôme des Hautes Études.

Le chant de la ‘Ita est considéré comme l’un des moyens par lesquels les populations formulent leurs besoins et leurs aspirations. Ils y expriment leurs joies et s’en servent pour l’éloge aussi bien que pour la satire. La ‘Ita représente un genre de chant populaire marocain relevant d’une des plus anciennes formes d’expression que l’homme ait inventées et investies de ses expériences, visions et conceptions.

Notons d’abord que ce chant est totalement différent des autres manifestations de la culture populaire ; ensuite qu’il doit son existence à la transgression des rapports entre texte poétique et mélodie émanant d’un seul et même contexte populaire.

Outre que ce type de chant – la ‘Itaconstitue un héritage qui a ses spécificités, en tant qu’il recèle une force d’impact contenant une riche mémoire et un élan vers le futur, il représente une entité morale qui a la force de l’acte, en ce qu’il concrétise le vécu matériel du groupe, met en valeur ses fondements, donne un ancrage à son existence, tout en influant sur la définition de ses orientations. 

On comprend dès lors que le chant de la ‘Ita soit perçu comme une forme d’échappatoire offerte à l’individu par la sphère sociale pour faciliter son intégration, comme le montrent clairement les poésies qui constituent le substrat verbal des chants. En d’autres termes, chanteur et créateur expriment avec la plus entière spontanéité tout ce qui était profondément refoulé en eux à travers la performance orale qui donne vie à cet art.

Il en ressort :

Premièrement : que la Ita mellalienne est l’une des manières les plus importantes de pratiquer ce type de chant, dans la mesure où de nombreux facteurs y interfèrent, certains d’ordre historique et culturel, d’autres d’ordre ethnique, social ou linguistique, qui ont, tous, contribué à définir l’identité de ce chant.

Deuxièmement : nous avons ici affaire à une ‘Ita d’une haute qualité esthétique, tant au niveau du texte poétique que de la performance musicale.

Troisièmement : aux plans rythmique et mélodique, la Ita mellalienne diffère complètement des autres formes de ‘Ita, car cette forme de chant se refuse à toute monotonie ou répétitivité des phrases musicales, optant résolument pour une grande variété mélodique, fondée sur une diversification des maqam (strophes) utilisés qui donne toute sa beauté à cet art. Au plan de la mélodie, cette variété est la principale caractéristique de la Ita mellalienne. Nous passons en effet constamment d’une vitesse rythmique modérée à une plus grande vitesse, en un phrasé qui confère à ce type de chant toute sa grâce et sa légèreté, eu égard à l’espace où il est né et où il s’est développé.

Quatrièmement : pour ce qui est des styles sur lesquels se fonde le texte poétique, on notera la présence constante et hégémonique de l’interpellation. Vient ensuite l’approche descriptive dont l’auteur(e) analyse, à titre d’exemple, quelques vers en se fondant essentiellement sur la méthode historique et la lecture du discours descriptif. La déploration (rîthae) joue également un rôle important. L’auteur en donne un exemple à travers l’examen des évocations nostalgiques et douloureuses du lieu perdu. L’écriture de l’interrogation occupe, en outre, une place centrale dans le poème auquel elle donne une puissante coloration. Le discours narratif, enfin, a un rôle éminent et confère à l’énoncé cette force et cette efficacité qui imprègnent l’ensemble de ses vers. 

Nous pouvons, au terme de cette réflexion, affirmer que les textes de la Ita mellalienne ont une claire capacité à produire du sens, dans la mesure où ils puisent leurs thèmes dans la réalité sociale et politique des populations de la région de Béni Mellal. Ces segments ne sont, à cet égard, nullement des syntagmes secondaires ajoutés au poème pour des besoins d’équilibre rythmique – le rythme étant la composante essentielle du chant –, mais, bien au contraire, des paroles structurant les phrases mélodiques. Une lecture attentive de la Ita mellalienne ou une écoute patiente des enregistrements ou des performances vivantes données par les hommes et femmes devenus les Cheikhs (maîtres) de cette ‘Ita ne peuvent que nous révéler un contenu d’une insigne richesse, puisant dans une poésie orale propre à la culture populaire marocaine.

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