Revue Spécialiséé Trimestrielle

AUX ORIGINES DE LA MUSIQUE INSTRUMENTALE MAROCAINE

Issue 44
AUX ORIGINES DE LA MUSIQUE INSTRUMENTALE  MAROCAINE

L’auteur tente dans cette étude de rassembler des textes dispersés au fond de quelques encyclopédies arabes qui font allusion aux évolutions de la musique instrumentale andalouse qui apparut dans la presqu’île ibérique avant de passer au Maroc et de s’imposer dans certains pays du nord de l’Afrique. Cette musique a connu des périodes fastes et des périodes de repli qui ont abouti, après qu’elle eut parachevé la réalisation de ses formes d’expression, à l’art musical que nous connaissons  aujourd’hui.

On peut résumer comme suit les jalons qui ont le plus profondément marqué l’histoire de la musique instrumentale :

1) L’étape au cours de laquelle cette musique a défini ses caractères spécifiques avec les règles établies par Zeryeb pour la nouba.

2) L’étape de l’affinement, des réformes et des innovations qui se sont épanouies grâce aux apports d’Avempace (Ibn Bâjja) à l’exécution de la nouba, et notamment les efforts qu’il a entrepris pour harmoniser le chant arabe avec le chant chrétien en une seule nouba. Le muwashah (chant lyrique andalou) a constitué à cet égard une importante avancée, tant sur le plan poétique que musical.

3) L’étape de l’ouverture sur les pays voisins, avec les vagues de migration successives des Andalous qui ont commencé avec les Almoravides, dont le règne vit Avempace œuvrer à enraciner cette nouvelle culture musicale au cours de son séjour à Fez, et qui se sont poursuivies sous les Almohades et les Mérinides. Ce renouveau par le contact avec la tradition andalouse a enrichi l’héritage local des pays du nord de l’Afrique, notamment le Maroc. Les performances de la nouba ont été renforcées et graduellement enrichies par d’autres composantes mélodiques et musicales. Cela ne signifie pas que les Marocains ne disposaient pas d’un patrimoine musical propre, il est même probable qu’ils avaient alors des traditions musicales vivaces ainsi qu’en témoignent de façon éclatante leurs apports qualitatifs à la musique instrumentale.

4) L’étape de l’adoption par les zaouïas de la musique instrumentale : il est clair que les zaouïas ont joué un rôle central dans la conservation de la nouba en empêchant la perte de ses formes mélodiques et métriques, surtout au cours des périodes de conflits et d’agitation politique par lesquelles le Maroc est passé. Le sama’a (littéralement l’art de l’écoute) a constitué à cet égard une autre culture musicale qui a emprunté, depuis le VIe siècle de l’Hégire, sa ligne mélodique aux compositions les plus connues dans le domaine de la musique instrumentale. Les manifestations religieuses, en particulier celles liées à la célébration du mouled  (anniversaire de la naissance du Prophète) furent une occasion propice à la découverte de l’interaction entre la musique du sama’a et la musique instrumentale. L’auteur s’arrête, ici, sur l’évolution de la tradition de la chanson à deux vers, à l’époque mérinide. Le travail effectué par les spécialistes du sama’a a pu se développer grâce aux refrains repris en chœur par les exécutants du dhikr (les invocations) et les chœurs de muzahzihun (ceux qui tentent de faire bouger les traditions) , à l’époque saadiste.

5) Les spécialistes s’accordent à considérer l’étape qui a suivi la chute de Grenade (1492) comme celle de la consolidation de l’ouverture liée aux Arabes et aux musulmans, venus avec leur patrimoine musical qui a constitué une nouvelle alternative  aux chansons qui avaient cours dans les pays d’accueil. Ce processus s’est effectué en deux étapes, la première débutant immédiatement après la chute du royaume arabe de Grenade, et la seconde après cent vingt ans environ, avec l’arrivée des morisques qui a constitué un tournant décisif dans l’histoire de la nouba en rapport avec la musique instrumentale. 

6) L’étape de la collecte et de l’établissement des poésies chantées, des muwashah et des zajal, par Al Bou’asami dans son ouvrage Iqad ashoumou’a (Pour allumer les bougies) : cette étape a été tardivement suivie par la collecte menée par Al Hayek dans ses Kunnash (Carnets), etc.

Il est clair que les premières manifestations de la musique instrumentale remontent à l’époque mérinide, mais que cette musique a davantage développé ses potentialités sous les saadistes pour atteindre à la pleine maturité formelle à l’époque des Alaouites. La stabilité que les pays ont connue au cours de cette période y a grandement contribué. De leur côté, les souverains n’ont pas ménagé leurs encouragements aux musiciens qui ont ainsi pu développer leur créativité et leurs techniques d’exécution.

Le dernier point abordé par l’auteur concerne les aspects qualitatifs et quantitatifs les noubas qui nous sont parvenues. Leur nombre a atteint, à une certaine époque, vingt-quatre noubas couvrant les 24 heures de la journée, chacune devant être exécutée à une heure déterminée. Mais, compte-tenu du long intervalle exigé aujourd’hui par l’exécution de la nouba, intervalle qui peut s’étendre sur plusieurs heures, le plus probable est que la nouba ne comptait pas, dans le passé, un aussi grand nombre de textes poétiques, et qu’elle s’est fixée dans sa forme actuelle après que les mélodies des noubas dont le texte s’était perdu furent intégrées à celles qui avaient été conservées, et avaient fini par prendre une grande ampleur et se déployer sur toutes ces étapes d’exécution sans lesquelles la distribution sur la totalité des heures de la journée ne pouvait se réaliser.

 

Khalid Hilali

Maroc

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