Revue Spécialiséé Trimestrielle

MEMOIRE ET PATRIMOINE CULTUREL IMMATERIEL

Issue 43
MEMOIRE ET PATRIMOINE CULTUREL IMMATERIEL

Abederrahmane Ayoub

 

Le débat que nous allons engager sur la base de la réflexion que je vous propose porte, comme l’indique le titre,  d’un côté, sur un mécanisme ou un processus – la mémoire – qui constitue l’une des marques distinctives de l’animal, en général, et de l’homme, en particulier. Il porte, d’un autre côté, sur le patrimoine, mais pas n’importe lequel, le patrimoine culturel immatériel, soit ce vaste fonds de savoir qui n’a pas de limites, qui est tout à la fois ancien et nouveau, et sans lequel la réalité matérielle ne peut survenir, exister et se perpétuer.

Le rapport entre mémoire et patrimoine immatériel peut, à première vue, paraître une question facile à cerner, elle est en fait complexe et pluridimensionnelle. Sa complexité tient, en premier lieu, au fait que le patrimoine culturel immatériel est, par sa nature même, cognitif, ce qui signifie qu’il ne peut prendre forme que dans la matière, les idées ou la subjectivité. Il n’a de lieu qu’en la mémoire, ce dont il découle cette première équation : mémoire = patrimoine, et vice-versa. En d’autres termes, le patrimoine est une composante essentielle de la mémoire, peut-être même en est-il la composante la plus étendue. Cela explique que certaines de nos études  s’accordent à considérer le patrimoine immatériel comme étant « la mémoire collective cognitive et pratique en tant qu’elle est à la fois actuelle et ancienne. » De ce fait,  ce patrimoine représente, à côté de la composante biologique et nerveuse, la deuxième composante essentielle de l’être humain. Mais, pour ne pas faillir au devoir d’exactitude, nous devons mettre l’accent sur une troisième composante, qui est étroitement liée aux deux autres, celle que l’on appelle : « la coutume ».

Pour bien comprendre de façon pour ainsi dire exclusive l’action de la mémoire collective dans son rapport au patrimoine culturel immatériel – et je parle d’exclusivité pour ne pas trop m’étendre sur le sujet –, nous avons laissé de côté les aspects du fonctionnement mnémonique liées à la société, à l’économie et, de façon plus particulière, à la pensée, la mémoire spécifique appelant des lectures appropriées à chacun de ces domaines.

Il reste une question à laquelle nous avons, par moments, fait allusion dans cette réflexion et qui mérite d’être davantage étudiée et discutée, c’est celle de « l’avenir du patrimoine culturel immatériel à l’époque de la mondialisation ». Et si nous avons voulu conclure notre propos en mettant précisément l’accent sur cette question, c’est que nous sommes conscient que les vagues de la mondialisation qui ont, depuis quelques décennies, submergé nos peuples arabes et produit de véritables bouleversements ont eu un impact encore plus grave sur notre patrimoine tant matériel qu’immatériel, et frappé l’entité culturelle arabo-islamique de façon violente et destructrice. Le décalage est en effet énorme entre les ravages ainsi causés et les efforts consentis par nos institutions nationales pour tenter, en l’absence d’une stratégie cohérente et prospective, de préserver ce patrimoine, car ces efforts n’ont abouti jusqu’ici qu’à sauver quelques échantillons patrimoniaux que l’on regarde comme autant de pièces de musée exposées aux visiteurs ou de  précieuses reliques rangées sur les rayons des bibliothèques.

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