Revue Spécialiséé Trimestrielle

LORSQUE L’AMBITION SE PROFILE A L’HORIZON

Issue 41
LORSQUE L’AMBITION SE PROFILE A L’HORIZON

 Nous eûmes besoin, il y a quelques années, de recruter un chauffeur bahreïni diplômé de l’enseignement secondaire. Six candidats se présentèrent que je reçus à tour de rôle. Mon choix se porta sur celui qui avait obtenu les meilleures notes au cours de ses études, un candidat dont le calme, la courtoisie et la personnalité me firent, par ailleurs, une excellente impression. Je me souviens lui avoir alors demandé pourquoi il avait interrompu ses études et qu’il avait répondu qu’il n’avait pas les moyens de payer les frais universitaires, et qu’il avait besoin de travailler. Sa réponse m’inspira le respect.

L’homme s’avéra particulièrement doué pour les relations publiques, chaque fois qu’il fut chargé d’accompagner des invités. Il sut également parer avec habileté aux imprévus, se comportant toujours avec une adresse toute naturelle devant les situations difficiles ou les problèmes inattendus, ce qui lui permit de nouer des rapports d’amitié avec la plupart des invités, quel que fût leur niveau. Une telle constance ne pouvait passer inaperçue.

Un temps se passa avant qu’il ne me vînt de lui poser cette question : « Que diriez-vous si l’on vous offrait de reprendre vos études, en prenant en charge les frais universitaires et en vous faisant bénéficier d’horaires flexibles pour votre travail ? » Il répondit, après s’être assuré du sérieux de la proposition : « A quel type d’études auriez-vous pensé ? 

 -  Vous êtes libre, lui dis-je, d’opter pour la filière de votre choix. Vous pourrez suivre des cours du soir dans l’université que vous voulez, nous prendrons en charge les frais, et, en cas de besoin, nous vous ferons bénéficier d’un horaire de travail flexible. L’essentiel est que vous obteniez un diplôme qui vous permette d’évoluer au plan professionnel. »

Notre revue, LA CULTURE POPULAIRE, venait alors de se doter d’une direction des études sur le terrain dont  la mission était d’impulser la recherche dans les différents domaines. Nous avions besoin de personnels ayant les qualifications universitaires nécessaires pour collecter sur le terrain la matière populaire. Comme dans tous les pays arabes, peu de candidats pouvaient présenter le bon profil, nos institutions universitaires ne s’étant guère souciées de la protection ou de la conservation de notre héritage culturel, quel que fût le secteur concerné et l’état d’abandon où pût se trouver ce patrimoine.

Il fallait donc tout reprendre de zéro, avec tous les risques que cela représentait. Nous conçûmes nombre de sessions de formation intensive au profit des fonctionnaires de la revue, universitaires et autres, afin de les initier à la science du folklore et à ses rapports avec les autres sciences humaines. Dans le même temps, notre chauffeur bahreïni avait rejoint l’université et commencé à suivre ses cours du soir, n’hésitant guère, par la suite, lorsque notre soutien faisait quelque peu défaut, à emprunter à la banque pour couvrir ses frais d’études. Son diplôme lui fut, au terme de ce parcours, décerné avec une mention des plus honorables. Il changea de grade administratif, et fut nommé à un poste conforme à sa formation universitaire.

Nous lui demandâmes alors s’il serait intéressé par des études spécialisées dans le domaine de la science du folklore, mais il voulut d’abord se familiariser avec ce domaine, et nous décidâmes de le détacher en vue d’une mission sur le terrain qui avait été précédée d’une session de formation intensive, sous la direction d’un éminent spécialiste de la culture populaire. Le nouvel apprenant se montra à la hauteur du défi, il  surpassa même ses compagnons car il se prit d’amour pour ce travail et sut en maîtriser les détails les plus subtils. La découverte de cette science qu’il put faire sur le terrain coïncida avec le moment où l’Organisation internationale de l’art populaire (IOV) portait son choix sur Manama comme siège régional pour diriger ses sections dans la région MENA (Moyen-Orient/Afrique du Nord), faisant de la capitale bahreïnie le point focal pour l’ensemble de cette région.

Cet étudiant qui s’était passionné pour la collecte sur le terrain des matières du patrimoine populaire s’attela, en même temps, à la lecture des ouvrages que nous mîmes à sa disposition dans ce domaine de spécialité. Nous lui proposâmes alors de reprendre ses études universitaires en se spécialisant dans la science du folklore, en commençant par la licence, avant de passer au mastère et, de couronner ce parcours par la soutenance d’une thèse de doctorat, à charge pour la revue de financer la totalité du cursus à l’étranger. Il accepta avec joie.

Mais, pour que cet objectif fût atteint, il a fallu que se conjuguent à nos efforts ceux des sections soudanaise et égyptienne de l’Organisation internationale auxquels il convient d’ajouter le soutien logistique indéfectible consenti avec enthousiasme par les meilleurs folkloristes de ces deux pays. Le jeune étudiant qui entreprit de collecter la matière patrimoniale sur le terrain apprit ainsi les principes de cette science à l’Institut des Etudes afro-asiatiques de l’Université de Khartoum avant d’obtenir, avec la mention Très-Honorable, à l’Institut supérieur des Arts populaires de l’Académie égyptienne des Arts, le Diplôme supérieur en méthodologie et techniques de conservation du folklore.

Un étudiant consciencieux et discipliné : nous l’encourageâmes à aller de l’avant et à travailler en mastère sur le thème qui le motivait le plus, et, en enfant du milieu maritime de Bahreïn, il choisit – naturellement – ce sujet : « Comment documenter les œuvres populaires liées à la construction des bateaux ». Il se mit à la tâche avec rigueur et dévouement. Ses informations, il vint les puiser auprès des témoins qui étaient encore en vie, puis il présenta une étude documentée illustrée avec des dessins, des photographies et des films vidéo. Nous vîmes que cette recherche était une première dans le domaine de la documentation universitaire, et lorsque nous prîmes place dans la salle des soutenances de l’Institut supérieur des arts populaires du Caire pour entendre les observations des professeurs sur le mémoire et les réponses pleines d’assurance de l’étudiant sûr de son savoir et confiant en l’effort qu’il a fourni, grande fut notre fierté de le voir recevoir le titre du Mastère avec une haute distinction et la recommandation que le travail soit publié et diffusé dans toutes les universités égyptiennes. Qu’y a-t-il de plus beau, en fait, que de voir un jeune commencer de zéro et aller de l’avant, toujours  porté par la haute ambition qui se profile à l’horizon ?

Nous mettons la main, en ce moment,  aux derniers préparatifs  du départ de M. Khamis Zayed Al Banki pour l’Université de l’Indiana, aux Etats-Unis, où il est appelé à soutenir sa thèse de Doctorat dans son domaine de spécialité.

 

Ali Abdallah Khalifa

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