Revue Spécialiséé Trimestrielle

EXPERIMENTATION ET MEDECINE POPULAIRE CHEZ IBN AL JAZZAR

Issue 37
EXPERIMENTATION ET MEDECINE POPULAIRE  CHEZ IBN AL JAZZAR

Hamadi Dhouieb

Ecrivain. Tunisie

 

L’expérimentation dans les sciences arabo-islamiques exige de nouvelles études et des recherches approfondies afin qu’en soient percés les secrets et que soit déterminé le statut réel qui fut le sien au regard de la pensée qui a produit ces sciences.

Bien des points liés à la démarche expérimentale d’Ibn Al Jazzar – tels que, par exemple, le rapport de l’expérimentation à la jurisprudence religieuse (char’a) ou l’existence ou pas, chez lui, d’un lien entre les expériences qu’il menait et le recours à certains instruments utilisés en appoint – ont, assurément, été négligés. Il est temps que la recherche aborde la question sous tous ses aspects.

Mais l’auteur estime qu’il convient d’abord de montrer la centralité de l’expérimentation dans l’approche d’Ibn Al Jazzar dans les deux domaines de la médecine et de la pharmacologie. C’est pour cette raison en effet que ce savant est classé dans la catégorie des médecins qui considèrent la médecine comme une pratique créatrice qui doit se fonder sur l’expérimentation et non sur l’inspiration, ainsi que le croyaient de nombreux médecins grecs, et à leur tête Galien.

Cette vision fondée sur le caractère central de l’expérimentation a donné naissance à des pratiques médicales et à des traitements aussi nombreux que variés dont les premiers bénéficiaires furent, sans aucun doute, les populations musulmanes de l’époque d’Ibn Al Jazzar. Avicenne (Ibn Sîna) parle de ce type de démarche en ces termes : « J’ai pris en charge les malades et je vis s’ouvrir à moi d’inestimables perspectives de traitement puisés dans l’expérience. »

Ibn Al Jazzar s’est donc éloigné de la démarche purement philosophico-théorique qui prévalait chez les médecins grecs, et s’est, en revanche, complètement tourné vers les expériences pratiques et les applications concrètes. Sa démarche ne diffère pas, du point de vue de l’auteur, du concept d’expérience chez Kant, en tant que l’expérience est une connaissance expérimentale qui définit un objet ou une manifestation au moyen des sens. Ce rapprochement ne signifie pas qu’il faille pour autant prendre les critères définis par la science moderne comme base pour évaluer un savoir produit par la science islamique, voilà plus de mille ans. Et c’est pourquoi la notion d’expérience ou d’expérimentation chez Ibn Al Jazzar doit être appréhendée d’abord au sens premier de compétence et de savoir-faire.

La leçon la plus importante à retenir quand on se penche sur le parcours d’Ibn Al Jazzar est sans doute la modestie et la noblesse de la pratique médicale chez cet homme dont l’approche ne fut nullement motivée par l’appât du gain ou la recherche des honneurs. Au contraire, le médecin s’était mis au service du commun des mortels, et en particulier des plus démunis. « Lorsque je vis, écrit-il, que beaucoup de pauvres et d’indigents sont dans l’incapacité de profiter des bienfaits de ce livre (Zâd al mussafîr wa qut al hâdhir – La provende du voyageur et l’aliment du sédentaire) et de bien d’autres ouvrages écrits par les maîtres en sagesse pour préserver la santé des bien-portants et guérir les malades de leurs maux, car ils sont fort démunis et ne disposent guère des moyens d’accéder aux matières qui leur permettent de se soigner, lorsque je vis cela je décidai de réunir au profit de ceux qui sollicitent la médecine et de ceux qui pourraient tirer bénéfice de notre ouvrage appelé Zâd al mussafîr… les données relatives à la science des maladies, à leurs causes, à leurs symptômes et aux moyens de les traiter par des médicaments faciles à préparer, peu coûteux en efforts et en argent, de sorte qu’il sera aisé aux médecins de prendre en charge le commun des hommes, les pauvres et les plus démunis en recourant à ces médicaments que j’ai trouvés chez Galien. »

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